LES ENFANTS TOMBENT DU CIEL : DES TEMPS DIFFICILES POUR LES TRAVAILLEUSES FLORICOLES AU KENYA
* Cet article contient des informations que certain.e.s lectrices et lecteurs peuvent trouver bouleversantes, notamment des descriptions d’abus à l’égard des femmes et des enfants. Veuillez noter que nous avons supprimé les noms des personnes impliquées, ainsi que les noms de leurs lieux de travail afin de protéger leur vie privée et leur sécurité.
« Madame, tumemwagiwa watoto », c’est ce que des travailleuses au Kenya ont récemment dit à A, la directrice des ressources humaines de la ferme. Lorsque traduit vaguement, les femmes disent que les enfants tombent du ciel sur elles. Le sentiment fait allusion à la flambée écrasante des besoins de garde d’enfants émergeant de la COVID-19.
La main d’œuvre dans le secteur des fleurs est en grande partie féminine, soit environ 75 %. La majorité d’entre elles sont des mères allaitantes et des mères en bas âge, certaines mariées et d’autres qui élèvent leurs enfants seules. Comme dans de nombreuses communautés, la garde des enfants est principalement perçue comme la responsabilité de la mère et, par conséquent, les travailleuses des fermes de fleurs semblent porter un plus grand fardeau en raison de la pandémie mondiale actuelle.
Avant que la COVID-19 montre sa tête monstrueuse, la routine d’une journée était assez simple pour ces travailleuses. Elles se réveillaient le matin et se préparaient avec leurs enfants, les plus âgés allaient à l’école et les plus jeunes à la garderie pendant que les mères se rendaient au travail.
Augmentation du coût de la nourriture
Lorsque la COVID-19 a frappé le Kenya à la mi-mars, les écoles ont été immédiatement fermées ; elles le resteront jusqu’en janvier 2021. Avec tous les enfants à la maison, la demande et le coût subséquent de la nourriture ont augmenté, mettant la pression sur de nombreux budgets des travailleuses. « Lorsque les enfants sont à l’école, vous pouvez mieux planifier votre budget, car certains d’entre eux mangeront à l’école. Mais quand ils sont tous à la maison, cela devient mouvementé, car il faut réfléchir à la façon de gérer le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner. Plus les enfants restent à la maison, plus ils mangent », précise A. « Cela affecte davantage les mères parce que nous sommes responsables de la cuisine pour la famille », ajoute-t-elle.
Pour certaines travailleuses, la situation est devenue plus difficile après que leurs conjoints aient perdu leur emploi à cause de la pandémie. J, une travailleuse de serre, le sait trop bien. Son mari travaillait comme chauffeur de matatu et a perdu son emploi après que le secteur des transports a été affecté à la suite de l’application de la cessation de mouvement par le gouvernement pour freiner la propagation du virus. La famille de cinq dépend désormais des revenus de J pour se débrouiller. « Je dois rationner la nourriture que je donne à mes enfants et honnêtement, ils ne sont pas rassasiés. Si vous entendez parler d’une ouverture pour un chauffeur, merci de me le faire savoir. Mon mari peut conduire n’importe quoi », dit-elle, le désespoir évident dans sa voix.
Fermeture des services de garde
Les jeunes mères et celles qui allaitent dépendent fortement des services de garde. Il s’agit de centres qui prennent en charge les enfants en bas âge des travailleuses, leur permettant ainsi de poursuivre leurs travaux agricoles à l’aise. Certaines fermes de fleurs certifiées Fairtrade ont investi des fonds de la prime équitable Fairtrade pour la mise en place des centres de services de garde offrant aux mères un environnement sûr pour leurs enfants pendant qu’elles travaillent. Une ferme, par exemple, gère un service de garde pouvant accueillir 50 bébés, tandis qu’une autre en gère un qui peut accueillir jusqu’à 100 bébés par jour.
Cependant, la pandémie a conduit à la fermeture indéfinie de la plupart de ces installations en raison du risque d’exposition, plongeant les mères qui travaillent dans un nouveau désarroi. Souvent plus abordables que l’embauche de gardienne à domicile, les mères sont désormais préoccupées par le devoir de s’occuper de leurs enfants alors qu’elles travaillent pour joindre les deux bouts.
Alors que les besoins financiers continuent de s’accumuler, abandonner n’est pas une option, « donc quoi qu’ils fassent, les enfants plus âgés doivent s’occuper des plus jeunes », explique E du département des ressources humaines d’une ferme floricole. Le fardeau des soins s’est également déplacé vers des voisines souvent non contraignantes ou des centres de services de garde ouverts, dont la sécurité est actuellement douteuse. Comme le racontent certaines femmes, ces options comportent des défis importants.
Avant la pandémie, J emmenait ses enfants dans un centre de service de garde. Désormais fermé, elle se retrouve dans une situation difficile, « il n’y a pas de centre de services de garde, c’est tellement stressant. La plupart des centres sont fermés, même celles qui y travaillent ont peur. J’ai aussi peur de leur état de santé et des personnes qui emmènent leurs enfants dans ces centres, donc je ne peux pas prendre de risque », dit la mère de 3 enfants.
F est mère de deux enfants âgés de 10 ans et 9 mois. Elle est obligée de laisser le bébé aux soins de son fils aîné, « le garçon ne peut pas vraiment prendre soin de l’enfant. Parfois, je rentre à la maison pour constater que le tout-petit a un érythème fessier ou n’a pas été nourri de la journée. Quelques services de garde de ma région ont ouvert parce que la plupart d’entre nous sont retournés au travail. Certaines femmes préfèrent y emmener leurs jeunes enfants plutôt que de les laisser avec leurs frères et sœurs aînés qui ne sont pas assez matures pour s’occuper des bébés », explique la travailleuse générale.
Pour S, mère de 3 enfants, ses exigences financières ne peuvent lui permettre d’embaucher de l’aide ou d’emmener ses 2 jeunes enfants (2 et 1 an et demi) dans une garderie qui lui facture 1500 Ksh (environ 18 $) par enfant, par mois. Pour ses 2 bébés, c’est une réduction importante de son salaire en tant que mère célibataire. En conséquence, elle laisse ses petits sous la garde de son fils de 7 ans, qui a lui-même besoin de soins. « Je souhaite vraiment dans mon cœur de pouvoir arrêter de laisser mes enfants seuls à la maison. Si seulement j’avais quelqu’un qui pourrait s’occuper d’eux, je me sentirais plus à l’aise au travail. Présentement, lorsque je suis au travail je ne suis jamais en paix, je me demande toujours s’ils sont en sécurité », nous dit-elle.
Chez une autre ferme floricole, nous parlons à M qui essaie tout pour ne pas s’effondrer. Elle raconte comment elle a perdu la seule personne qui l’aidait aux tendances abusives de son mari. Sa sœur, qui seulement après 2 semaines de séjour avec sa famille, a été expulsée une nuit. M et son enfant de 6 mois n’ont pas non plus été épargnés, ce qui les a obligés à chercher refuge chez une voisine. Elle a cherché de l’aide ailleurs, ce qui ne ferait qu’aggraver son mal de tête. Dans un incident, elle a trouvé son bébé avec des brûlures pour lesquelles elle n’a jamais eu d’explication. Dans un autre, elle le trouva enfermé dans la maison tout seul en sanglot alors qu’il ruisselait de sueur sous les lourdes couvertures qui le recouvraient, le tout sous la garde d’une voisine, « J’ai ouvert la porte et je l’ai pris », dit-elle, avec un regard douloureux dans ses yeux. M et beaucoup d’autres de ses collègues restent à la merci de leurs voisines qui, même si elles ne peuvent garantir les meilleurs soins, elles sont le dernier recours.
Effet sur la productivité
L’impact des difficultés actuelles est évident dans les fermes floricoles où l’absentéisme est devenu beaucoup plus courant. « Les mères, surtout lorsqu’elles ont affaire à un enfant malade, ont le sentiment qu’elles doivent rester à la maison et s’occuper de leurs enfants », explique E. Chez une ferme floricole, A (gestionnaire des ressources humaines) reçoit de plus en plus de demandes de jours de congé, « certaines prennent leurs congés de maladie pour s’occuper des enfants qu’elles ont laissés à la maison. D’autres fois, certaines recevront des informations que quelque chose est arrivé à leur enfant et se précipiteront à la maison pour vérifier. C’est comme un effet d’entraînement, un problème en entraîne un autre. » Si des centres de services de garde fonctionnaient dans des fermes certifiées Fairtrade, les mères pourraient compter sur la sécurité de leurs enfants. Même celles qui ont des enfants malades seraient reconnaissantes du confort de savoir qu’elles peuvent aller les voir pendant les pauses.
Plus de soutien est nécessaire
Les témoignages de ces femmes soulignent l’importance des centres de services de garde pour les mères qui travaillent. Alors, que faudrait-il pour que ces installations, au moins dans les fermes floricoles, soient de nouveau opérationnelles ? « Ce n’est pas tout à fait clair », dit A. « Si les enfants dormaient dans les garderies, il serait facile de maintenir les opérations, car nous pourrions appliquer toutes les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité et atténuer le risque de propagation de la maladie. Cependant, ils doivent rentrer chez eux à la fin de la journée. Ils se mêlent aux membres de leur famille, ce qui rend les choses compliquées, car le lendemain, vous les tenez tous dans un espace confiné. Si l’un d’entre eux revient infecté, cela devient incontrôlable, c’est pourquoi, si vous me le demandiez, une installation comme celle-là ne rouvrirait pas vraiment. La situation est la même dans les écoles qui restent fermées », ajoute A.
Les travailleuses et travailleurs des fermes floricoles certifiées Fairtrade ont jusqu’à présent reçu des milliers d’euros de soutien en matériel alimentaire et d’hygiène. Ceci est dû à la flexibilité introduite par Fairtrade International dans l’utilisation de la prime équitable Fairtrade obtenue des ventes de fleurs Fairtrade, permettant aux productrices et producteurs de répondre aux besoins urgents liés à la COVID-19. En outre, 46 fermes floricoles ont reçu des décaissements du Fonds de secours COVID-19 des productrices et producteurs Fairtrade, leur permettant d’intensifier leurs efforts pour assurer la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs. Néanmoins, comme le révèlent les conversations avec les mères qui travaillent dans les fermes de fleurs au Kenya, ce n’est guère la fin de la route, en ce qui concerne le soutien aux travailleuses et travailleurs pour surmonter la tempête de la COVID-19. L’achat continu de fleurs Fairtrade est une façon de soutenir les travailleuses et travailleurs pendant cette période difficile.